Logo mobile 1

La spiritualité sans Dieu, selon André Compte-Sponville

Notes de présentation de Jean Laliberté, co-responsable du Groupe spiritualité, religions et quête de sens.

Dans son ouvrage « L'esprit de l'athéisme - Introduction à une spiritualité sans Dieu » (Albin Michel, 2006), le philosophe français André Compte-Sponville explique la spiritualité. L'ouvrage  comprend trois parties :

  • Réflexions sur la religion;
  • Arguments en faveur et contre l'existence de Dieu;
  • Spiritualité pour les athées.

Voici quelques extraits du livre :

Qu'est-ce que la spiritualité? C'est la vie de l'esprit (p. 146).

La spiritualité désigne une partie de notre vie intérieure : celle qui a rapport avec l'absolu, l'infini ou l'éternité (p. 147).

Nous sommes des êtres éphémères ouverts sur l'éternité. Cette ouverture, c'est l'esprit même. La métaphysique consiste à la penser; la spiritualité, à l'expérimenter, à l'exercer, à la vivre. (p. 147).

On connaît le mot de Nietzsche : « Je suis mystique, et je ne crois en rien ». Le mystique se reconnaît à un certain type d'expérience, fait d'évidence, de plénitude, de simplicité, d'éternité... (p. 202).

Pour Comte-Sponville, la spiritualité est donc accessible autant aux athées qu'aux croyants.

Réflexions sur la religion

Question : Qu'est ce que la religion apporte aux individus?

Les religions ont existé à toutes les époques et chez tous les peuples. Pour qu'elles soient si répandues, si omniprésentes, il doit bien y avoir des raisons profondes.

L'auteur pose la question suivante : Les individus peuvent-ils se passer de religion?

    Routecampagnebrumeuse 500
  • La plus grande force des religions n'est pas de rassurer les croyants face à leur propre mort, car la perspective de l'enfer est plus inquiétante que celle du néant.
  • La religion apporte une consolation possible, un grand réconfort lors du décès de personnes qui nous sont proches. La religion fournit un rituel, un cérémonial qui aide à faire le deuil : veillée funèbre, oraisons, prières, symboles, rites, sacrements. Une façon d'apprivoiser le désarroi, de l'humaniser, de le civiliser.
  • L'athée est démuni face à la mort des autres : il ne peut pas compter sur un rituel comme celui qu'offrent les religions. Pour Comte-Sponville, c'est ce qui lui manque le plus.

Une autre question: Une société peut-elle se passer de religion?

  • Si l'on prend la religion dans son sens large (qui inclut les mouvements comme le bouddhisme, par exemple, ou/et nazisme qui se réclamait de Dieu) la question reste ouverte : on ne connaît pas de société qui en ait été totalement dépourvue. On ne connaît pas de civilisation sans mythes, sans rites, sans sacré et sans croyances en des forces surnaturelles.
  • Aucune société ne peut se passer de liens ou de liant. Dans les différents monothéismes, les gens sont reliés entre eux et ont le sentiment d'être reliés à Dieu. On parle de la communauté des croyants. Du Peuple élu.
  • La principale fonction des religions est de favoriser la cohésion sociale en renforçant la communion des consciences et l'adhésion aux règles du groupe. C'est ce que l'auteur appelle «l a communion » : cohésion profonde, essentielle, durable. C'est parce qu'il y a communion qu'il y a communauté.
  • « Communier, c'est partager sans diviser ». On parle de communion des esprits parce que seul l'esprit sait partager sans diviser. C'est ainsi qu'on peut communier dans l'amour de la patrie, de la justice, de la liberté, de la solidarité, bref dans un certain nombre de valeurs communes.
  • Mais ça ne prouve pas que toute communion ou toute société nécessite la croyance en Dieu. Mais on ne peut se passer du sacré si on entend par sacré ce qui a une valeur absolue, qui s'impose de façon inconditionnelle et qui ne peut être violé sans sacrilège ou déshonneur. Par exemple, le caractère sacré de la personne humaine, le devoir sacré de défendre sa patrie.
  • On ne peut pas non plus se passer de religion au sens étymologique de religio qui signifie « recueillir » ou « relire ». Religio fait référence à des textes fondateurs : un enseignement (Torah en Hébreu), plusieurs livres (Biblia en grec), récitation (Coran en arabe).
  • La religion, selon cette étymologie, doit moins à la sociologie qu'à la philosophie : c'est l'amour d'une Parole, d'une Loi ou d'un Livre. La religion relie le présent au passé, les vivants aux morts et la piété à la tradition. Il ne s'agit pas de politique, mais de spiritualité. Il s'agit de civilisation. C'est le contraire de l'inculture qui ne connaît que le présent.
  • Religion dans le sens de Religio relève moins de la communion que de ce que l'auteur appelle fidélité, car elle réfère à la foi. La fidélité c'est ce qui reste de la foi quand on l'a perdue. L'auteur trouve très important la fidélité aux valeurs transmises par la religion chrétienne, les valeurs morales, culturelles et spirituelles.
  • L'auteur se définit comme un « athée fidèle ». Il respecte les valeurs que ses parents lui ont inculquées. Les valeurs judéo-chrétiennes comme la justice, la compassion et l'amour et les valeurs qui viennent du siècle des Lumières : la démocratie, la laïcité et les droits de l'homme.
  • Pour l'auteur, la perte de la foi ne change rien à la morale. Croire ou ne pas croire en Dieu ne change rien d'essentiel.
  • Si on oublie les valeurs, ça mène à la décadence et à la barbarie. Il n'y a plus de devoir qui s'impose: il n'y a que mon plaisir ou ma lâcheté, que les intérêts et les rapports de force.

Vision de l'athée sur l'espérance et le désespoir

    Espoir
  • Perdre la foi, ça ne change rien à la connaissance et pas grand chose à la morale. Mais ça change considérablement la dimension d'espérance - ou de désespoir - d'une existence humaine.
  • La croyance en Dieu permet d'espérer le triomphe ultime de la vie sur la mort, de la justice sur l'injustice, de la paix sur la guerre, de l'amour sur la haine et du bonheur sur le malheur.
  • André Gide disait qu'il n'y a rien au-delà du « fond très obscur de la mort ». C'est le néant ultime.
  • Cependant, l'athée n'est pas condamné au désespoir, car le bonheur ne consiste pas à espérer, mais à vivre, ici et maintenant. Si nous espérons le bonheur pour demain, nous nous interdisons de le vivre aujourd'hui.
  • On ne peut nier qu'il y ait quelque chose de désespérant dans la condition humaine, mais ce n'est pas une raison pour ne pas aimer la vie.
  • L'auteur raconte l'anecdote d'un vieux prêtre venu lui parler après une de ses conférences. Celui-ci lui dit: « je suis d'accord avec tout ». Comte-Sponville lui répond : « quand je parle de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme, vous ne pouvez pas être d'accord avec moi ! ». Et le vieux curé de répondre: « tout ça a si peu d'importance ».
  • L'explication de la position du vieux curé est dans les évangiles : Jésus parle peu de Dieu et de la vie après la mort; il parle surtout de la vie de l'homme sur la terre. L'illustration parfaite en est le Bon Samaritain : on ne sait rien de sa foi ni de son rapport avec la mort; ce qu'on sait est qu'il fait preuve de compassion et de charité.
  • Ce qui fait la valeur de la vie humaine, ce n'est pas la foi, ce n'est pas l'espérance, c'est la quantité d'amour, de compassion et de justice dont on est capable.
  • Du point de vue de l'athée fidèle, à quoi bon rêver d'un paradis? Le Royaume, c'est ici et maintenant. Il n'est pas important de croire, car tout est à connaître. Il n'est pas important d'espérer, car tout est à faire ou à aimer: à faire pour ce qui dépend de nous; à aimer pour ce qui n'en dépend pas.
  • Les trois grandes vertus des Chrétiens sont la foi, l'espérance et la charité. Au ciel, il n'y a plus ni la foi, ni l'espérance: il n'y a que la charité, que l'amour.
  • Dans les grandes spiritualités orientales, le bouddhisme et le taoïsme, il n'y a pas de Dieu.
  • Les chrétiens croient qu'il y a une vie après la mort. Mais ce qui est important, c'est la vie avant la mort.

Conclusion

Par conséquent, pour l'auteur, la religion n'est pas essentielle, mais les valeurs le sont. Dieu n'est pas essentiel : c'est l'amour du prochain qui est essentiel. L'idée, par exemple, de laisser un monde meilleur derrière nous.

Les arguments en faveur et contre l'existence de Dieu

    Roches eau
  • André Comte-Sponville écrit: « Si vous rencontrez quelqu'un qui vous dit : « Je sais que Dieu n'existe pas », ce n'est pas d'abord un athée, c'est un imbécile. Et, même chose, si vous rencontrez quelqu'un qui vous dit: « Je sais que Dieu existe ». C'est un imbécile qui prend sa foi pour un savoir ».
  • Il est impossible de prouver que Dieu n'existe pas, pas plus qu'il est possible de prouver que les loups garous n'existent pas.
  • Les arguments en faveur et contre l'existence de Dieu ont fait l'objet de discussions depuis très longtemps.

Trois preuves de l'existence de Dieu

  • La preuve ontologique : Selon Hegel, « Dieu est le seul être qui existe par essence ». Quand on conçoit Dieu comme suprême, parfait, infini, c'est qu'on le pense existant. Si Dieu n'existait pas, il ne serait pas le plus grand et ne serait pas infini.

Descartes disait que concevoir un Dieu sans existence, c'est se contredire.

Cette preuve, cependant, ne convainc que les croyants! Car une définition ne peut pas prouver une existence.

  • La preuve cosmologique: pour expliquer l'univers, il faut une cause, une raison d'être. Il faut donc qu'il y ait un créateur. À cet argument, l'auteur réplique qu'à l'origine de l'univers, il y a forcément quelque chose, mais ce n'est pas nécessairement un être intelligent: ce peut être une énergie.
  • La preuve physico-théologique: c'est la théorie du dessein intelligent (intelligent design qui est enseigné dans les écoles de plusieurs États américains). Un monde si complexe ne peut être le fruit du hasard. Une horloge ne peut exister sans horloger. Avant les avancées de la science, cette preuve était acceptée de tous.

Maintenant, avec les découvertes comme celle du big bang et la théorie de l'évolution, les doutes sur l'existence de Dieu sont généralisés.

Trois arguments de type négatif contre l'existence de Dieu

    Spiriualite
  • La faiblesse des expériences : l'auteur dit qu'il n'a aucune expérience, aucune évidence, aucun indice de l'existence de Dieu. Si Dieu voulait qu'on croie en lui, il se ferait connaître. Mais Dieu se cache! S'il ne se montre pas, c'est qu'il n'existe pas.
  • L'explication incompréhensible : croire en Dieu, c'est expliquer quelque chose qu'on ne comprend pas, comme le monde, la vie, la conscience, par quelque chose que l'on comprend encore moins : Dieu. Si l'absolu est incompréhensible, qu'est-ce qui nous permet de penser qu'il est Dieu?
  • Dieu est marqué par l'anthropomorphisme : on le conçoit en référence à ce que nous sommes. Il prend l'image du « père » par rapport à ses enfants ou celle du souverain par rapport au peuple. Mais dire que Dieu qui est l'absolu nous ressemble, c'est une contradiction dans les termes.

Trois arguments positifs contre l'existence de Dieu 

  • L'excès du mal : le mal est partout autour de nous et sur la terre. Il y a toutes sortes d'atrocités et de cataclysmes. Pourquoi Dieu, s'il est infiniment puissant, ne supprime-t-il pas le mal? Un monde si imparfait peut-il être d'origine divine?
  • La médiocrité de l'homme : pourquoi Dieu nous a-t-il créés si faibles, si lâches, si prétentieux, si méchants? L'homme est capable de haine, de violence et de mesquinerie. Comment Dieu aurait-il pu consentir à une telle médiocrité?
  • Le désir et l'illusion : Dieu est une croyance qui correspond parfaitement aux désirs de l'homme. Il y a lieu de craindre qu'elle n'ait été inventée spécifiquement pour satisfaire nos besoins. Cette croyance répond à notre désir de ne pas disparaître après la mort, notre volonté de retrouver les êtres chers, notre désir que la justice finisse par triompher.

C'est une illusion parce qu'on aime croire en ce qu'on désire fortement. Plus nous espérons quelque chose, plus nous sommes disposés à y croire. Certains poussent leur fanatisme jusqu'à prendre leur foi pour un savoir et vouloir l'imposer par la force.

La spiritualité pour les athées 

    Main ouverte
  • Pour l'auteur, la spiritualité est la vie de l'esprit. Nous avons un esprit; il faut s'en servir. L'esprit nous donne accès au vrai, à l'universel. L'homme est un animal spirituel. La spiritualité est notre façon d'habiter l'univers ou l'absolu.
  • Spiritualité désigne une partie somme toute restreinte de notre vie intérieure: celle qui a rapport avec l'absolu, l'infini ou l'éternité.
  • La métaphysique consiste à penser l'infini, l'absolu, l'éternité. La spiritualité consiste à l'expérimenter, l'exercer, la vivre. La spiritualité relève de l'expérience plutôt que de la pensée. C'est une émotion plutôt qu'un raisonnement.
  • L'athée ne nie pas l'existence de l'absolu ; il nie que l'absolu soit Dieu. Il existe dans le bouddhisme et le taoïsme des spiritualités qui ne sont en rien des religions au sens de croyance en Dieu.
  • L'absolu c'est ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute relation ou de tout point de vue. L'absolu englobe :
    • l'ensemble de toutes les conditions : la nature
    • l'ensemble de toutes les relations : l'univers
    • l'ensemble de tous les points de vue possible : la vérité
  • La spiritualité consiste à faire l'expérience de l'immanence et de l'immensité. L'univers est là, il nous enveloppe, il nous dépasse: il est tout et nous sommes presque rien. La spiritualité nous permet de faire l'expérience de l'immensité de la nature, donc aussi de notre petitesse. L'expérience de la nature dans son immensité est une expérience spirituelle parce qu'elle aide l'esprit à se libérer de la petite prison du moi.
  • La vie spirituelle est possible à condition qu'on parvienne à se libérer du « cher petit moi », de ses petites frayeurs, de ses petites rancœurs, de ses petits intérêts, de ses petites angoisses, de ses petits soucis, de ses petites frustrations, de ses petites espérances, de ses petites complaisances et de ses petites vanités. En somme « sortir de soi », oublier son ego et s'ouvrir à la vie.
  • L'auteur dit qu'il a senti et expérimenté des moments de mystère, d'évidence, de plénitude, de simplicité, d'unité, de silence, d'éternité, de sérénité, d'acceptation et d'indépendance.
  • Il fait le récit d'une expérience spirituelle vécue lorsqu'il avait une vingtaine d'années et qui s'est répétée par la suite à quelques reprises. Alors qu'il contemplait le ciel étoilé par un soir d'été, il s'est senti obnubilé par l'immensité de l'univers; il en a oublié l'espace et le temps; cet état, qu'il décrit comme «mystique», n'a duré que quelques secondes, mais il lui a permis de faire l'expérience de l'infini.

Jean Laliberté, 1er décembre 2016

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

  • 4 votes. Moyenne 4 sur 5.