Notes de présentation de M. Jacques Lebuis, 13 décembre 2016
Variations du climat depuis 18 000 ans et évolution des émissions de GES 1990-2012
La température moyenne dans l’hémisphère nord s’est accrue de 4 degrés Celsius de l’an 16000 à 8000 av. J.-C. et de 3 à 4 degrés au cours des deux derniers siècles de notre ère. L’an 8000 correspond à la fin de la dernière glaciation.
D’après le GIEC, les émissions de GES entre 1990 et 2012 ont progressé de 24,6 % au Canada, de 262,2 % en Chine et de 74,3 % dans l’ensemble de la planète.
Scénarios du GIEC
Un groupe de travail du GIEC a conçu quatre scénarios de l’évolution de la température moyenne à la surface du globe pour la période 1950-2100. Selon le scénario le plus pessimiste prévoyant une augmentation des émissions au rythme actuel tout au long du 21e siècle, la concentration des gaz à effet de serre (GES) s’élèverait à 1 370 ppm en 2100. Par ailleurs, selon le scénario le plus optimiste basé sur des émissions très faibles dont le point culminant se situerait avant 2050, la concentration des GES atteindrait 490 ppm en 2100 et diminuerait par la suite.
Le GIEC rappelle que les concentrations de GES les plus importantes engendrent une augmentation de l’absorption des radiations infrarouges. Cet effet de serre aboutit à un réchauffement climatique. Cela se traduit par une élévation des températures de 3,7°C pour le scénario le plus alarmant et de 1°C pour le scénario le plus optimiste.
Accord de Paris 2015 et ampleur du défi pour le Canada
L’Accord de Paris stipule que l’augmentation de la température moyenne d’ici la fin du 21e siècle soit bien au-dessous de 2°C par rapport au niveau préindustriel, et si possible, poursuivre les efforts pour limiter la hausse à 1,5°C.
Bien qu’il ait ratifié cet accord et promis d’instaurer une taxe carbone dès 2018, il semble que le Canada aura beaucoup de mal à atteindre l’objectif fixé antérieurement par le gouvernement Harper, soit une baisse de 30 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005.
Cette baisse équivaut à 220 Mt (millions de tonnes) de GES. A titre illustratif, cela correspondrait à remplacer tous les véhicules circulant sur les routes du Canada, ainsi que les trains, les avions, les navires (171 Mt) par des modèles n’émettant pas de CO2 et éliminer aussi l’élevage animal (37 Mt).
Modification du comportement des acteurs économiques
Dans un rapport publié en septembre 2016 par Energy and Materials Research Group (EMRG), Mark Jaccard, Mikela Hein et Tiffany Vass indiquent que, pour respecter l’engagement de Paris, le prix pancanadien d’émissions de CO2 devrait se situer dès le départ à 30 $ la tonne et s’élever annuellement de 15 $ pour atteindre 200 $ en 2030. Ils estiment hautement improbable que nos dirigeants politiques fixent une telle progression, compte tenu des impacts politiques d’une telle mesure.
Selon les trois auteurs susmentionnés, le gouvernement fédéral devrait plutôt appliquer une réglementation souple dans des secteurs clés (électricité, industrie, transport, etc.), et ce, de pair avec un prix d’émissions modeste atteignant 40 $ en 2030 et 100 $ en 2050.
Parmi les mesures déjà en place dans les provinces canadiennes, M. Jacques Lebuis mentionne la taxe sur le carbone fixée à 30 $ par la Colombie-Britannique et l’implication du Québec, ainsi que prochainement de l’Ontario, dans le marché du carbone initié par la Californie.
Instruments disponibles
Pour être acceptées par la population, les mesures visant à contrer les changements climatiques doivent être efficientes, acceptables politiquement et réalisables économiquement.
A cet égard, les outils les plus courants sont le versement de subventions, l’octroi de crédits d’impôt et l’instauration d’une règlementation prescriptive ou flexible. Ces mesures ont généralement l’inconvénient de ne générer que des coûts pour les gouvernements et sont insuffisantes pour atteindre les cibles de réduction annoncées.
Une autre alternative est la fixation d’un prix sur l’émission du carbone. Cette mesure se subdivise en deux volets, soit l’établissement d’une taxe sur les gaz émis, soit un marché du carbone.
La taxe carbone dont le montant est fixé par le pouvoir public, augmente avec le temps et devrait entraîner une diminution des émissions de GES. Le total de la réduction des GES n’est pas connu à l’avance et dépend du comportement des utilisateurs de combustibles. Plus la taxe est élevée, plus les utilisateurs chercheront à réduire leurs émissions par le recours à des technologies propres ou par des habitudes de consommation plus sobres en carbone. Dans le cas d’une taxe, le prix du carbone est explicite.
Le Québec a choisi un marché du carbone administré conjointement avec la Californie. Le marché du carbone vise à faciliter à moindre coût la réduction des GES tout en favorisant l’implantation de technologies propres. Le pouvoir public fixe un plafond d’émissions de GES qui diminue progressivement chaque année. Les entreprises qui émettent 25 000 tonnes ou plus par année doivent obtenir des droits d’émission correspondant à leurs émissions réelles. Ces droits sont alloués par le gouvernement : gratuitement pour certaines industries exposées à la concurrence internationale, vendus aux enchères à un prix minimal fixé par l’État qui augmente de 5 % par année jusqu’en 2020, ou lors de vente de gré à gré par le gouvernement. Les distributeurs de carburants et de combustibles ne bénéficient pas d’allocation gratuite et refileront la facture aux consommateurs.
Le marché du carbone permet des transactions entre différents émetteurs. Les entreprises qui réduisent leurs émissions par rapport aux droits alloués ont des surplus de droits qu’elles peuvent vendre à celles qui ne réduisent pas leurs GES.
La taxe carbone ou le marché du carbone génère des revenus pour le gouvernement. Au Québec, les sommes recueillies sont versées au Fonds vert et consacrées à de multiples initiatives visant à réduire les émissions et à aider la société à s’adapter aux changements climatiques. Ce Fonds devrait disposer de 3 G$ d’ici 2020.
Acceptabilité politique et sociale
Toute taxe sur le carbone élevée au départ et transférée à la population suscite le braquement de celle-ci. Selon certains sondages d’opinions, la population accepterait plus facilement un marché du carbone ou de la règlementation pour réduire les GES. Le prix du carbone est implicite et passe plus discrètement.
Quatre scénarios de réduction de GES
Dans certains pays, lorsque le prix du pétrole est élevé, il semble davantage facile de réduire les GES. Dans un tel contexte, les citoyens peuvent être plus facilement incités à acheter des véhicules électriques et à recourir aux biocarburants. Par contre, au Canada, un prix élevé encourage le développement des sables bitumineux et, par ricochet, nuit à l’atteinte des cibles canadiennes de réduction des GES. Actuellement, la production des sables bitumineux s’élève à 2,5 millions de barils par jour (mbd).
Selon le scénario privilégié par les auteurs du rapport de l’EMRG mentionné précédemment, pour respecter l’Accord de Paris, le gouvernement fédéral devrait opter pour une taxe sur le carbone et adopter une règlementation flexible fixant des cibles précises aux émetteurs. En vertu de ce scénario, le prix des émissions serait maintenu bas lors des premières années. Il commencerait à 25 $ la tonne de CO2 en 2021, s’élèverait à 40 $ en 2030 et à 100 $ en 2050 (tous en dollars 2016). À ce prix du carbone, s’ajouterait un ensemble de règlements dans les secteurs industriels, de l’électricité et des transports. C’est ainsi que :
- dans le secteur de l’électricité, la production d’énergie sans capture et stockage du carbone serait éliminée en 2013;
- dans le secteur du transport individuel, des cibles de production de véhicules à émissions quasi nulles (PZEV) seraient fixées. Ces cibles prévoiraient la mise en marché d’un minimum de 5 % de véhicules PZEV d’ici 2020, 35 % d’ici 2025, 70 % en 2030 et 100 % en 2040. De plus, la production de carburant à faible taux de carbone serait exigée;
- dans le secteur du transport par camion, le recours aux biocarburants serait envisagé;
- dans le secteur du transport par autobus et train, la règlementation encouragerait l’utilisation de substituts au diesel conventionnel et aux autres énergies fossiles;
- dans les secteurs industriels, des objectifs de diminution des émissions à compter de 2020 seraient établis et tout dépassement entraînerait des pénalités pour les entreprises.
Résultats et impacts nationaux, sectoriels, provinciaux du scénario retenu par l’EMRG
Les politiques canadiennes actuelles (avant la réunion des premiers ministres du 9 décembre dernier) n’ont que peu d’incidence sur la réduction des émissions. Elles sont loin d’être suffisantes pour permettre l’atteinte de l’objectif du Canada fixé pour 2030. En outre, d’ici à 2050, l’EMRG estime que les émissions de GES pourraient n’être réduites que de 0 à 6 % par rapport aux niveaux de 2005.
Les deux tableaux qui suivent illustrent les émissions de GES par les provinces en 2030 selon que le prix du pétrole soit élevé ou bas ainsi que selon chacun des scénarios conçus par l’EMRG. Ils mettent, notamment, en évidence les efforts considérables que devra effectuer l’Alberta.
De plus, le prix de l’essence à la pompe ne peut que croître. Des investissements supplémentaires seront requis de la part des exploitants des sables bitumineux en vue de rencontrer les futures normes plus strictes du gouvernement fédéral.
Conclusion
L’imposition de mesures sévères de réduction des GES s’avère une démarche politique très difficile. Une coordination internationale des différents pays de la planète est essentielle.
Un mouvement semble toutefois s’amorcer chez certains investisseurs, lesquels envisagent de réduire leurs investissements dans le secteur pétrolier.
Les changements climatiques ne constituent pas encore un sujet d’intérêt majeur pour de nombreux citoyens.
En réaction à la présentation de M. Lebuis, différents commentaires sont formulés, notamment :
- au problème de l’accaparement des terres agricoles pour produire du biocarburant;
- à l’envergure des subventions encore offertes aux producteurs d’énergies fossiles;
- au fonctionnement méconnu d’une bourse du carbone.